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mercredi 4 mai 2011

Le son du jour

Le premier rasta: Anniversaire de sa mort


Leonard Percival Howell

Leonard Percival Howell est le fondateur du mouvement rasta. Il n’a inventé ni les dreadlocks, ni l’herbe (introduite en Jamaïque par les Indiens), ni le reggae. Il n’a pas théorisé le retour en Afrique, la nature divine d’Heilé Selassié ni la négritude de Jésus. Simplement, Howell a su faire converger un ensemble de revendications et d’attitudes, mettant en pratique des préceptes que d’autres, comme Marcus Garvey, se contentaient de promouvoir.

Howell est né en 1898 à Clarendon, une région agricole de l’île. Son père appartient à cette générations de jamaïcains noirs nés libres – l’esclavage a été aboli en 1838 - et contraints d’inventer leur vie. Anglican comme ses anciens maîtres, Charles Howell accède à force de travail au statut de notable, capable d’offrir à ses enfants une certaine éducation.

Indépendant et fantasque, Howell quitte le pays très tôt et s’installe à New York. Il voyage et débarque à Panama. En 1917, il s’engage mais, lors d’une escale, il déserte une guerre qu’il laisse volontiers aux blancs. Il navigue durant huit ans, comme cuistot, visitant l’Afrique, l’Europe, l’Asie. Tour à tour manœuvre, marin, portier, il enchaîne ensuite les petits boulots avant d’ouvrir un café à Harlem, un de ces ganja-pads où la marijuana circulait, entre deux discours militants. De retour en Jamaïque en 1932, Howell soutient l’action de Marcus Garvey et contribue à la déification d’Heile Selassie. Alors que Marcus " le moderne " joue les rationalistes et essaye de susciter une prise de conscience populaire, Howell fait feu de tous bois, parcourant la campagne et mobilisant les foules en utilisant les ressorts religieux. Panoplie de prophète – robe noire, rites purificateurs, etc. – et anecdotes pseudo-historiques lui permettent de fédérer les paysans jamaïcains. Il fait référence aux employés blancs de l’empereur d’Ethiopie, dresse le récit de la prosternation du Duc d’York, envoyé de la Couronne britannique, devant Heile Selassie. Pour servir son projet, Howell prétend parler plusieurs dialectes africains et fonde la Société pour le Salut Ethiopien (Ethiopian Salvation Society) en 1934.

Imaginez l’ambiance : Howell déboule dans cette colonie anglaise parfaitement administrée et clame la noblesse de la race noire en prônant la marijuana comme sacrement. Alors qu’à cette époque un noir s’adresse à un blanc la tête baissée, il crie haut et fort qu’il faut cesser de verser l’impôt à la Reine d’Angleterre. Au cours d’un des nombreux procès qu’il subira, en 1935, Howell s’adresse au juge – blanc – sur un ton inimaginable : " je te conseille de me donner la peine maximale, car bientôt, lorsque je siégerai à ta place, je ne te raterai pas ".

En 1933, il est emprisonné pour avoir essayé de vendre 5 000 photos de Heile Selassie, qu’il présentait comme des passeports pour l’Ethiopie. Il décide alors de bâtir une communauté autonome sous l’égide du nouveau messie. A sa sortie de prison, il part avec ses supporters dans les collines isolées de la Jamaïque, lieu historique de refuge pour les esclaves en fuite qu’on appelait " Maroons ". Ces collines devinrent un lieu de mémoire fortement présent dans la culture rasta, au point de figurer sur un grand nombre de pochettes de disques reggae. On peut citer par exemple Rise Shine de Peter Broggs, sur la pochette duquel dready Peter court comme un petit fou au milieu des colline, rigolard comme s’il avait fumé la moitié de l’herbe autour de lui. L’album Tribute to the martyrs, de Steel Pulse, figure aussi les collines de l’île – sous la forme d’un dessin révélant au premier plan une famille en exil. Man in the Hills, de Burning Spear, fait également référence à ce décor. Les collines de Jamaïque peuvent d’ailleurs se confondre avec les monts d’Ethiopie, dont elles semblent être une promesse, comme sur l’album Visons de Dennis Brown.

La communauté voulue par Howell, le Pinnacle, est construite dans l’est de l’île, près de Spanish Town. Il y rassemble des travailleurs indiens, venus remplacer les esclaves dans les plantations, et prend le nom de Ganguru Maragh, ou Gong pour les intimes. Le lieu devient le domicile et la ferme communale des hommes, des femmes et des enfants. Howell adopte un régime végétarien et organise une liturgie à base d’encens, d’incantations et de volutes d’herbe. La communauté veille au respect de l’équilibre démographique. Elle comptait une centaine de personnes, qui jouissaient d’une certaine sécurité matérielle grâce aux champs de coton et de ganja (la communauté possédait plus de 180 000 pieds …) que Gong leur donnait à cultiver.

Puisque la communauté de Pinnacle n’est pas extensible, une diaspora se forme progressivement, regroupant des individus issus de la communauté mais incités à trouver ailleurs leur bonne fortune. Certains se joignirent aux familles pauvres et expropriées du bidonville situé dans le quartier surpeuplé de Back O’ Wall, à l’ouest de Kingston. C’est à partir de ce quartier que le rastafarisme se diffusera dans la capitale puis dans l’île.

Considéré comme fou, Howell est plusieurs fois enfermé dans un asile ou en prison. Sa maison est incendiée. Il subit les attaques des politiciens, de la police et de l’Eglise. En 1954, le bastion de Pinnacle est relié au réseau routier de l’île, ce qui met à mal la tranquillité de la communauté. Le succès de son petit commerce attire également les clans de gunmen, qui bientôt s’entre-tuent pour le contrôle du trafic de l’herbe. Non violent, Howell subit des assauts répétés et doit quitter son domaine en 58, après avoir dispersé la communauté. Il se réfugie à Tredegar Park, où il vivra terré et paranoïaque, sombrant dans l’anonymat comme Marcus Garvey, oublié des siens comme de ses ennemis. Il y meurt en 1981, la même année que Bob Marley. Ironie de l’histoire, Bob Marley avait fait d’Howell un de ses maîtres spirituels même s’il se promettait d’échapper à son destin, chantant " moi, je serai plus dur (‘tuff’) que le Gong (Howell) ". C’est même cette référence qui servit de nom au label créé par Marley, Tuff Gong.